Né à Tunis ... Lorsque les professionnels croient en nos jeunes étudiants
- Nourelhouda Derbel
- 11 mars 2016
- 8 min de lecture

Surmené, surbooké, très occupé, voyageant de ville en ville et de pays en pays, ce jeune designer est si pris qu'il nous a fallu finalement lui demander de nous répondre par mail pour pouvoir décrocher cette interview.
Il s'agit de "Né à Tunis", dont le fondateur est Chems Eddine Mechri, "la figure montante du design tunisien" comme l'a qualifié le site mille-et-une-tunisie.com. Dans une période où la crise économique a remis en question l'investissement dans divers secteurs en Tunisie, et pricipalement celui de l'artisanat, et dans une période où la plupart des jeunes ont préféré frapper aux portes des autres pour trouver de l'emploi, ce jeune "designer-pirate" a préféré suivre l'exemple de Steve Jobs, le fondateur de Apple, lorsqu'il a dit :"Why join the navy if you can be a pirate", "Pourquoi rejoindre la marine lorsqu'on peut être un pirate ", et a décidé d'ouvrir sa propre porte et son propre buisness. Promuant ainsi l'artisant Tunisien en rajoutant une estampe de modernité émanant de tout un processus de faire et de penser Design, le tout, en s'appuyant sur la richesse et la diversité des savoirs-faire ancéstraux de nos artisans émanant des différentes régions de la Tunisie (El kef, sidi bouzid, béja, ...).
Récemment, Né à tunis, a publié un post sur les réseaux sociaux qui a fait le BUZZ littéralement en citant : « Hello, à l'occasion de la foire de l'Artisanat, le Kram, avril 2016, je mets à disposition de dix jeunes designers une petite superficie (1m² environ) de notre stand pour qu'ils y exposent leurs projets, chacun pendant une journée […] ».
Nous avons donc saisi cette occasion pour en savoir plus sur cette offre, son profil en tant que jeune "designer-pirate" et son parcours académique et professionnel.
[interview]
-Nourelhouda Derbel [NHD]: Bonjour mr Chems eddine, pouvez-vous tout d’abord vous présenter ?
-Mechri Chems Eddine [Né à tunis]: MechriChems Eddine, designer Produit, 35 ans, j’ai fait les beaux arts de Tunis de 1998 à 2003, avec un diplôme National en Art, Industrie et Artisanat. J’ai fait un Mastère en Muséologie et Sciences de Patrimoine et actuellement je finis ma thèse en Design, portant sur le Design Solidaire et le Patrimoine. J’enseigne le design à l’université également et je travaille pour mon propre compte. Je travaille beaucoup avec les artisans tunisiens. J’essaie à travers les expériences que je mène avec eux de promouvoir leurs savoirs-faire ainsi que les ressources locales.
-NHD : Vous êtes principalement connu par « Né à Tunis » pourquoi avez-vous choisi ce surnom ?
-Né à tunis : C’est le nom de la société. Il est emblématique d’une appartenance que toutes mes créations sont fières d’arborer : des créations à notre image : actuelles et au goût du jour avec ce petit quelque chose qui marque leur tunisianitéc assumée. Il aurait été plus judicieux dans ce sens de choisir Né en Tunisie. C’est par crainte que ça fasse institutionnalisé et politique que j’ai choisi Né à Tunis, plus léger et facile à retenir.
-NHD : Comment étaient vos débuts en tant qu’étudiant ?
-Né à tunis : Turbulent, bavard, toujours en retard. Un peu déroutant aussi. Mais impliqué, ouvert, créatif et très curieux. Il y a des matières que je séchais (je le regrette) et d’autres où j’excellais.
-NHD : Une fois diplômé, quel était votre premier pas dans la vie professionnelle ?
-Né à tunis : J’ai effectué des stages dans des sociétés industrielles, puis dans de petites entreprises et chez des artisans. Le travail du métal m’impressionnait et c’est là que j’ai décidé de me lancer et de fonder ma société.
-NHD : Avez-vous rencontré des difficultés lors de vos débuts professionnels ?
-Né à tunis : Oui. Beaucoup de mal à vendre, à me faire connaître. Pendant des années j’ai dessiné des produits que j’étais le seul à apprécier.
-NHD : Parlez – nous de « Né à Tunis » pour ceux qui ne la connaissent pas, vous direz ?
-Né à tunis : Je dessine des lampes, des meubles d’appoint et des accessoires à partir de différents matériaux. Mes créations sont à la fois trendy et responsables.
-NHD : Quels étaient les premiers objets que vous avez conçus ? Quelle était votre inspiration ?
-Né à tunis : Des chaises, des lustres, des appliques murales, des rangements et des tables à manger ludiques. Sous forme de personnages souriants et sympathiques, j’ai dessiné plusieurs objets qui vont meubler notre intérieur et l’animer de leur présence. Ce qui m’a inspiré : une citation de Alphonse de Lamartine : « objets inanimés, avez vous donc une âme ? »

Famille

Lampadaires Personnages_http://lixow.com/neatunis/ludiques/lampadaires_personnages1
- NHD : - Qu’est ce que vos conceptions ont en commun ?
- Né à tunis : L’aspect responsable. Il y a dans toutes mes créations un matériau local, un savoir-faire propre à une région tunisienne et une référence à notre identité.


Constellations Tunisiennes_http://lixow.com/neatunis/constellations_tunisiennes
- NHD : Que représente la lumière dans vos objets ?
- Né à tunis : Travailler sur la lumière est mon exercice préféré. Bien que difficile, cet exercice me passionne. J’aime beaucoup conjuguer fonctionnalité et poésie dans les lampes et luminaires que je dessine.
- NHD : Pouvez-vous nous parler d’avantage des étapes du processus de fabrication de vos produits : (allant de vos premiers sketchings, l’inspiration … jusqu’à arriver au prototype et au produit final ?
- Né à tunis : Je dessine très souvent différents objets, m’inspirant de tout, et avançant ainsi sur différentes pistes et des axes de travail très diversifiés. De ces objets, rares sont qui voient le jour. Je suis obligé de n’avancer que sur certains d’entre eux. J’en abandonne la plupart car il m’est impossible de les réaliser tous (pour des considérations budgétaires, de temps, ou par crainte que ça ne rencontre pas le succès escompté). Dans l’actuelle conjoncture économique et sociale, et par rapport au marché local, je suis obligé de n’avancer que sur les modèles qui ont une chance d’ être appréciés par le public. Et si, depuis quelques années, le public devient de plus en plus réceptif à ce que je fais, ceci me donne envie de hasarder. Ceci explique les projets ludiques ou d’autres à connotation érotique que j’ai osés et que j’ai pu exposer en Tunisie dans un premier temps puis à l’étranger.
- NHD : Avez-vous d’autres projets en cours ? D’autres expositions ?
- Né à tunis : Oui. J’ai ouvert mon second point de vente à la Marsa : "3 designers". On y est trois : By Jasminoo, Al Ghalia et moi. Je participerai ce Samedi à une exposition Design collective (avec trois autres designers) à Elbirou Art gallery, Sousse (https://www.facebook.com/events/1535776696723080/). Ceci se poursuivra jusqu’à la fin du mois et j’y dévoilerai de nouvelles créations. Je participerai mi-Avril à Wanted Design New York, aux USA. Et fin avril, il y aura bien sûr le salon de la création artisanale à Tunis. D’autres projets encore se profileront pour la rentrée 2016, à partir du mois de septembre.
- NHD : Vous avez récemment publié un post le 20 Janvier 2016 sur les réseaux sociaux qui a fait le BUZZ littéralement en citant : « hello, à l'occasion de la foire de l'Artisanat, le Kram, avril 2016, je mets à disposition de dix jeunes designers une petite superficie (1m² environ) de notre stand pour qu'ils y exposent leurs projets, chacun pendant une journée […] ».
Une opportunité que rares les professionnels offrent aux jeunes étudiants, d’où émane la votre ?
- Né à tunis : Elle émane de l’envie que j’ai d’aider nos jeunes designers et de leur dire qu’on attend qu’ils se manifestent et qu’ils participent à instaurer une vraie culture Design en Tunisie. Vu l’accueil des gens, l’impact que ça a eu et les réactions de mes amis et confrères, je me dis que d’autres créatifs confirmés vont peut être faire pareil. Il faut qu’on commence à agir en communauté, sainement.
- NHD : Quels sont les critères de ceux qui seront retenus ? et Jusqu’au moment présent combien de jeunes créatifs ont-ils postulé ?
- Né à tunis : Leurs projets doivent être intéressants. Je ne vais pas exposer des projets médiocres ou pas originaux. Je ne vais pas non plus exposer des projets originaux mais mal présentés. J’exige donc la pertinence de l’idée et la qualité du rendu. J’ai reçu une quarantaine de dossiers dont une vingtaine assez intéressante. Avec des amis, on a essayé de les évaluer. Ceux qui nous ont particulièrement émus-convaincus vont être sélectionnés. La liste des projets retenus avec les noms des designers va être communiquée dans les jours qui viennent.
- NHD : Parmi ces 4 notions : où vous placez-vous : Etes-vous artiste, artisan, designer, entrepreneur ?
- Né à tunis : Designer- entrepreneur. J’ai fait les beaux arts, je suis bon dessinateur portraitiste, j’aime peindre, mais, je ne suis pas artiste. Je connais, également, très bien l’artisanat de notre pays, je maîtrise des savoirs-faire certains, mais, là encore, ça ne fait pas de moi un artisan.
- NHD : L’artisanat en Tunisie passe par une période critique, ceci a – t – il un impact direct ou indirect sur votre chiffre d’affaire ?
- Né à tunis : Oui, ça devient de plus en plus difficile, les touristes de moins en moins nombreux et le pouvoir d’achat du tunisien sans cesse affaibli. Il faut faire un travail immense (créatif et communicationnel) pour vendre aujourd’hui. Le public est très averti. Il en devient exigeant. Il faut aussi prendre ceci en considération et proposer du nouveau, sans cesse.
- NHD : Vous, en tant que, Né à Tunis, que proposez-vous pour que LA Tunisie soit une icône de l’artisanat internationalement ?
- Né à tunis : Que nous travaillons dur pour proposer des produits à la fois actuels et identitaires et que nous agissions en communauté en oeuvrant tous ensemble : designers, artisans, artistes, photographes, scénographes, marqueteurs…etc.
- NHD : Quelle est votre vision de l’artisanat Tunisien en 2020 ?
- Né à tunis : Je reste positif. Je crois que nous sommes en train d’avancer à grands pas. L’Etat à travers ses structures comme l’ONA est en train de faire des efforts titanesques, des associations souvent bien intentionnées voient le jour, les écoles de Design font du bon boulot, les ressortissants de nos écoles sont en train de proposer du nouveau. Et le plus important est que le public est de plus en plus averti, ceci exige une amélioration de l’offre. Je déplore le phénomène de copiage que je constate depuis des années (des produits qui se ressemblent notamment dans la décoration et dans l’accessoire-bijou) mais je suis convaincu qu’une nouvelle génération de créatifs verra le jour. Que la qualité ainsi que l’image du produit artisanal vont s’en améliorer nettement. La clé pour ce changement est d'intégrer, réellement et en profondeur, l’approche Design dans la création artisanale.
- NHD : - Encouragez-vous les étudiants à s’investir dans le domaine de l’artisanat ?
- Né à tunis : Oui. C’est un domaine très porteur à travers le monde. C’est une vraie industrie qui amène de la valeur ajoutée partout. Il n’y a pas de raison pour que ça ne soit pas le cas ici. Notre pays est très riche de ressources et de savoirs-faire.
- NHD : Je vous remercie pour le temps que vous m’avez consacré et je vous laisse le mot de ma fin, si vous avez des conseils aux étudiants.
- Né à tunis : Je les invite à croire en leur potentiel créatif et en toutes les ressources disponibles en Tunisie (que nous avons tendance à sous-estimer). Proposer du nouveau, du beau et du pertinent est une responsabilité. Aujourd’hui, la Tunisie en a besoin.
[Fin de l'interview]
La chose la plus certaine, est que le secteur de l'artisanat Tunisien fait appel, aujourd'hui plus que jamais, à nos jeunes créatifs pour pouvoir s'épanouir davatage. Né à tunis, est l'un d'une panoplie de jeunes résilients et persévérants qui cherchent main dans la main à protéger notre patrimoine et identité, des malfaiteurs croyant que nous avons la mémoire courte pour oublier trois mille années d'histoire ... qui ne sera JAMAIS plongée dans le noir.
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